Avec la disparition de Victor Beyer, notre comité de direction – et, avec lui, la Société des Amis de la cathédrale de Strasbourg – perd un de ses membres, et non des moindres. Cet historien de l’art, Alsacien de souche, traversa les tribulations de la dernière guerre mondiale où il fut tour à tour mobilisé par l’armée française, incorporé de force dans la Wehrmacht, envoyé sur le front de l’Est et emprisonné à la fin de la guerre.
Ce furent paradoxalement ces années de vicissitudes qui décidèrent du cours qu’allait prendre sa vie. Ce Strasbourgeois de naissance et Français de cœur fut forcé de s’inscrire à l’université allemande avant de poursuivre ses études à Paris où il soutint sa thèse. Dès lors sa vie fut marquée par son enracinement alsacien, sa culture française, son aisance dans la langue de Goethe et son ouverture à toute forme d’art, particulièrement la sculpture.
L’Alsacien Victor Beyer soutint ainsi sa thèse sur la sculpture strasbourgeoise du XIVe siècle et concentra son attention sur des lieux aussi divers que Brumath, Saverne, Niedernai et, bien sûr, Strasbourg avec sa cathédrale. Cet édifice lui inspira plus d’un ouvrage, notamment ceux qu’il consacra à ses vitraux. Le Français Victor Beyer s’intéressa notamment au sculpteur Jean-Baptiste Carpeaux et œuvra comme conservateur en chef du département des sculptures au Louvre. L’Européen Victor Beyer ne cessa de publier en allemand, tantôt apportant ses contributions à des revues qui le sollicitaient, tantôt traduisant des textes allemands en français.
Sa passion pour la sculpture ne se limita pas au Moyen-Âge. Il consacra son attention aussi bien à L’art en France sous le Second Empire qu’à Hans Arp, voire aux « primitifs » de l’Océanie. Comme si cela ne suffisait pas, il écrivit sur la céramique et sur la tapisserie, sans pour autant négliger la fiction. Amateur de la belle langue, il rédigea, en effet, des nouvelles, un roman et des pages de souvenirs.
Membre actif de plusieurs sociétés, il adhéra dès la trentaine à la nôtre où il fut élu au comité de direction dont il devint le deuxième vice-président en 1966 avant d’y occuper le poste de premier vice-président en 1995. Il collabora régulièrement avec notre bulletin auquel il donna maints articles, toujours fouillés, toujours précis, toujours élégants. Grand lecteur à l’esprit critique très vif, il nous soumit à plus d’une reprise des comptes-rendus que servit une érudition remarquable. C’est ainsi qu’en 1992, combinant culture, réflexions personnelles et ironie voltairienne, il dit en toute franchise ce qu’il pensait d’un ouvrage dont il pointa du doigt les faiblesses, releva les inexactitudes et souligna les aberrations et absurdités. Cet article restera un modèle du genre. Quant à ses interventions lors des réunions du comité de direction, est-il besoin de signaler qu’elles étaient frappées au coin du bon sens, émaillées d’humour et étayées de références aussi solides que pertinentes ?
On l’aura compris : le vide que laisse le départ de Victor Beyer sera difficile à combler…
Francis Klakocer, secrétaire