L’architecte en chef des monuments historiques Bertrand Monnet (1910-1989) a été chargé des travaux de la cathédrale de Strasbourg pendant 35 ans, de 1947 à 1982. Au cours de cette période, il a dirigé de nombreux chantiers tels que la réparation des dommages de la Seconde Guerre mondiale, la restauration de la partie basse de la flèche, de la haute tour et de ses quatre tourelles d’escalier, la restauration de l’ensemble du massif occidental, la consolidation des voûtes, etc. à cette époque, le décor sculpté et les superstructures de la cathédrale étaient atteints par une érosion accélérée due à la pollution atmosphérique et au mauvais choix des pierres par les maîtres d’œuvre du XIXe et du début du XXe siècle. Pour y faire face, Monnet a remplacé de façon quasi-systématique les éléments endommagés en grès bigarré par du grès vosgien jugé plus résistant mais d’un aspect et d’une coloration légèrement différents. Il est ainsi parvenu à gagner l’érosion du monument de vitesse mais lui a enlevé une partie de son authenticité.
Outre les travaux exécutés, Bertrand Monnet a étudié d’importants projets qui n’ont pu aboutir avant son départ à la retraite :
– la suppression des galeries construites par Jean-Laurent Goetz en néogothique du XVIIIe siècle afin de dégager la nef de la cathédrale
– le réaménagement du chœur par l’abaissement du niveau du sol et la suppression des lourdes balustrades du XIXe siècle pour améliorer la vue sur le maître-autel
– l’allègement et l’amélioration de la silhouette de la maison des gardiens construite sur la plateforme de la cathédrale en 1782
– la suppression de la tour de croisée édifiée par l’architecte de l’Œuvre Notre-Dame Gustave Klotz au XIXe siècle et le rétablissement de la « mitre » (Bischofmütze) gothique du début du XIVe siècle, jugée plus élégante.
En bref, le projet d’ensemble de Monnet était de supprimer toutes les adjonctions et transformations réalisées aux XVIIIe et XIXe siècles en raison de leur caractère « doctrinal », « germanique » et « inesthétique », pour revenir à l’état de la cathédrale à la toute fin du Moyen Âge, la seule exception à cette règle étant le maintien de la sacristie construite par Massol au XVIIIe siècle en style « français ».
Alors qu’aucun architecte-restaurateur n’avait fait œuvre de création à la cathédrale depuis la construction du vestibule néo-gothique par Johann Knauth au début du XXe siècle, Monnet voulait marquer durablement l’édifice de son empreinte.
Dans le cadre de la reconstruction des monuments historiques partiellement détruits par la Seconde Guerre mondiale en Alsace, Bertrand Monnet refusait le « pastiche » et promouvait l’insertion d’une architecture « résolument contemporaine mais de qualité » (nouveau clocher de l’église de Pfaffenheim, reconstruction de la nef de l’église Saint-étienne à Strasbourg, etc.). Outre ses nombreux chantiers de restauration de monuments anciens, l’architecte a été le créateur d’œuvres contemporaines remarquées. Il a construit les premiers bâtiments du Conseil de l’Europe à Strasbourg, d’innombrables écoles, collèges et lycées dans les départements de l’Est, plusieurs bâtiments universitaires à l’Esplanade, le mémorial de la déportation à l’ancien camp de concentration du Struthof et la nouvelle église de la commune de Herrlisheim (Bas-Rhin) dont le maire voulait faire le « Ronchamp alsacien ». Le style de Monnet s’inspire fortement de Le Corbusier et peut parfois être qualifié de « brutaliste » du fait de son traitement du béton.
Dans ses Mémoires non publiés, l’architecte prix de Rome, Charles-Gustave Stoskopf rapporte : « Je me souviens d’une conversation dans le train de Strasbourg à Paris au cours de laquelle [Bertrand Monnet] m’avoua qu’il était au fond un hérétique dans l’administration des monuments historiques et que la grande ambition de sa vie était de faire de la recherche architecturale et d’apporter son concours à cette vaste œuvre qui s’ouvrait dès la fin de la guerre à la génération d’architectes à laquelle nous appartenions » (ADBR, 60 J 1).
Ainsi, Monnet fait partie des rares architectes en chef des monuments historiques du second XXe siècle à avoir mené de front une carrière de restaurateur au service du patrimoine et de créateur de bâtiments contemporains.
Nicolas Lefort
Sur le même sujet, voir l’article « Bertrand Monnet, architecte en chef des monuments historiques : 35 années de restauration de la cathédrale de Strasbourg (1947-1982) », à paraître dans le Bulletin de la cathédrale, en décembre 2018.
Ill. 1 : collection François Monnet.
Ill. 2 : © BNUS NIM24970.