Nous sommes arrivés ici dans la soirée ; je laissai les voitures du chemin de fer la tête pleine de la cathédrale. La première chose que je vis en levant mes yeux, ce fut une flèche d’église brunie.
Ce monument me parut trop bas et trop large, eu égard à ce que j’avais entendu dire de sa grâce merveilleuse et de sa légèreté ; que dis-je ? quelque mauvais génie me soufflait à l’oreille l’épithète de lourd.
Informée à temps que ce que je voyais était bien le clocher, je résistai à mes impressions, résolue à ne juger qu’en connaissance parfaite de cause. J’ai été satisfaite depuis lors en trouvant dans une autobiographie de Gœthe un jugement sur les proportions de ce monument tout à fait conforme au mien.
Nous montâmes le clocher ; nous gagnâmes la toiture. Quelle magnifique terrasse ! Un vrai monde en raccourci, un panorama avec un horizon sans fin. J’ai trouvé là les noms de Gœthe et Herder. Ils se sont promenés bien des fois en cet endroit, je suppose.
Mais que dire de l’intérieur ? Un firmament comme une forêt, glorieux dans sa sainteté des fenêtres avec une multitude de couleurs comme les psaumes hébreux ; une obscurité pathétique et solennelle comme l’existence mystérieuse de l’homme, une richesse aussi splendide et aussi variée que sa merveilleuse nature.
Nous retrouvons dans cette architecture gothique ces sérieuses nations du Nord dont la nature était un composé d’influence tirée des forêts de pins, des montagnes, des orages, exprimant, dans de vastes proportions et dans une maçonnerie gigantesque, ces idées de durée et d’existence infinie que leur ouvrait le christianisme. La sauvagerie barbare se mêle chez ces races à une abondance fantasque et ornée ; c’est l’épanouissement des forêts du Nord.
Harriet Beecher Stowe, Souvenirs heureux, voyage en Angleterre, en France et en Suisse, 1857