Accueilli par M. Schurr, président de la Société des Amis de la Cathédrale, le public était venu nombreux des deux côtés du Rhin pour la conférence que M. Nussbaum – professeur à l’université de Cologne – a donnée en allemand le mercredi 6 février au Münsterhof.
Usant d’une langue sobre et accessible, il a posé dès le début sa problématique : comment vivaient et œuvraient Ulrich von Ensingen et ses concurrents, tous voués à l’érection de tours d’églises ou de cathédrales ? S’appuyant sur de nombreux visuels et sur un argumentaire clairement ordonné, il a montré que rien n’était jamais acquis pour ces maîtres d’œuvre. Et de citer, preuves à l’appui, les cas aussi connus que les cathédrales de Beauvais, de Canterbury et de Rouen. Le dernier exemple était particulièrement bien choisi pour relever les tensions et problèmes quotidiens que ces hommes rencontraient au quotidien avec les instances canoniales, épiscopales ou municipales qui voulaient toutes imposer leur point de vue. En quoi les architectes devaient faire preuve de diplomatie… quand ils ne passaient pas outre les directives, mettant parfois tout simplement les commanditaires devant le fait accompli. Reconnus pour leur valeur, ces spécialistes demandés partout et très bien payés ne restaient guère plus de trois semaines sur place avant de gagner d’autres cieux où ils étaient impatiemment attendus. Mieux : M. Nussbaum a montré, preuves à l’appui – dont une totalement inédite –, que ces maîtres-maçons alliaient à une solide formation pratique des compétences de dessinateurs qui œuvraient à échelle réelle et devaient s’adapter d’un jour à l’autre aux instructions souvent contradictoires qu’on leur donnait. Voilà qui explique, avec l’absence de système de mesure unifié, la fréquence de leurs insuccès et échecs patents. Mais leurs réussites incontestables dans l’édification des tours leur ont permis d’être les seuls à pouvoir se donner en représentation dans des bustes sculptés à leur effigie à flanc d’œuvres. Et surtout ils ont marqué pour longtemps l’image de villes dont leurs tours étaient en quelque sorte les silhouettes parlantes. Tant et si bien que leur art a dessiné un paysage architectural, européen avant l’heure, dont les similitudes à travers notre continent récusent les théories nationalistes en vogue au XIXe siècle.
L’auditoire l’a bien compris dont les nombreuses questions posées dans les deux langues ont montré l’intérêt qu’il manifestait pour ceux qui furent les pionniers de l’Europe, à leur façon.
Francis Klakocer