De Chartres à Strasbourg – La statue de sainte Modeste à la cathédrale de Chartres

La légende de sainte Modeste s’est développée au Xe siècle et raconte que saint Potentien et saint Savinien avaient évangélisé Sens puis Chartres et avaient baptisé Modeste, la fille du magistrat romain Quirinus, à son insu. Sur son ordre, les trois chrétiens furent décapités et leurs corps jetés dans le puits de la crypte de la cathédrale dit des ‘’Saints Forts’’ aujourd’hui encore visible.

Cet épisode est relaté dans le porche du transept nord, dans la baie de droite qui porte sur le revers les statues de saint Potentien et sainte Modeste. Elles ont été exécutées entre 1198 et 1224 et annoncent l’avènement du gothique.

L’iconographie de ce portail est complexe entre le tympan, les voussures et les statues. Les deux statues de saint Potentien et sainte Modeste sont portées par des socles, difficilement lisibles, qui racontent l’un, le baptême de sainte Modeste et l’autre, son martyre : elle est jetée dans le puits et emportée par deux anges. Les deux statues sont couronnées.

Modeste
La statue de sainte Modeste à Chartres

Mais c’est sainte Modeste elle-même qui retient notre attention. Son visage est des plus expressifs : il en émane un air de contentement avec des cheveux fins, mais joliment bouclés, des yeux en amande sous des arcades sourcilières bien arquées, des joues rebondies, un nez fin, une petite bouche, un menton en galoche. Le visage se prolonge par un long cou et un corps mince et souple. Elle porte un vêtement orné d’une fibule, confectionné dans un tissu fin qui colle au corps et qui permet le rendu de ces ‘’plis mouillés’’ à l’antique. Il est froncé à la taille par une ceinture, symbole de virginité, qui met en valeur le galbe de la hanche, les plis tombant en corolle à ses pieds. Le vêtement est couvert par un long manteau. De sa main droite elle esquisse un salut qui pourrait valoir de bénédiction. De sa main gauche elle tient un livre et ramène son manteau vers l’avant, prétexte à un jeu de plis subtils et ondulants.

Sainte Modeste passe pour la statue la plus accomplie de Chartres. Néanmoins, elle est encore rigide, le corps manque d’épaisseur et de corporalité, mais quel progrès par rapport aux statues du portail royal.

La cathédrale de Strasbourg est particulièrement attachée à cette statue, le musée de l’Œuvre Notre-Dame expose même sa photo. Elle est peut-être un relai dans l’évolution d’une sculpture frontale et hiératique que les historien de l’art du XIXe siècle appelleront l’art roman, à la recherche d’un rendu plus expressif, caractéristique du gothique.

Strasbourg
L’Église et la Synagogue de la cathédrale de Strasbourg

Nous trouvons à Strasbourg au portail sud du transept de la cathédrale, les trois chefs-d’œuvre : le pilier des anges, l’Église et la Synagogue, réalisés dans les années 1225 où l’on détecte très nettement une analogie avec la statue chartraine.

On y retrouve les mêmes caractéristiques du plissé souple et ondoyant, même si les lignes se jouent des réalités anatomiques. Les cheveux ont gagné en volume et en naturel, les visages sont encore plus expressifs et on lit l’histoire dialoguée du Cantique des Cantiques : l’Église est une guerrière triomphante, la Synagogue répudiée est pathétique mais non désespérée. Les corps sont légèrement tournés car le déhanchement leur donne une souplesse et un galbe relevés par la finesse des tissus et la ceinture. En comparaison sainte Modeste reste parfaitement frontale et statique. Nous restons en-dehors de son martyre.

La grande problématique est de savoir comment ce savoir-faire a atteint Strasbourg. Ces nouveautés techniques apparaissent presque simultanément sur d’autres chantiers en Ile de France, en Bourgogne, en Champagne et peut-être même en dans les pays rhénans. Il faut rappeler que ces nouveaux maîtres d’œuvre arrivent sur des chantiers en cours qu’ils doivent s’approprier. Et peut-être que la consécration en 1207 de l’évêque de Strasbourg, Henri de Veringen à Sens a facilité les échanges. Toujours est-il que dans un premier temps nos plus éminents connaisseurs de la cathédrale pensaient que sainte Modeste était une source possible ; on a même parlé d’« atelier chartrain », mais cette hypothèse est aujourd’hui fortement contestée sinon rejetée.

Lucie MAECHEL

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