Il était une fois dans l’ouest… une cathédrale méconnue

C’est peu dire que j’ai été étonné d’apprendre qu’après la visite de la cathédrale de Chartres, le voyage annuel de notre association nous conduirait à aller admirer celle du Mans ! Une cathédrale au Mans ? Jamais entendu parler ! Elle ne figure pas sur la liste classique, officielle, « canonique » de celles qu’il faut avoir vues, apprise dès le CM2 ! Vite, vite Internet pour vérifier !…

Mais oui, il y a bien au Mans une cathédrale, la cathédrale Saint-Julien et, au curieux qui, désireux de sortir des sentiers battus, lui rendra visite, elle vaudra bien des surprises …

Dès l’abord, le visiteur – et particulièrement le visiteur alsacien que je suis, accoutumé à « sa » cathédrale dominée par une flèche culminant à 142 mètres – est frappé par l’aspect compact de l’édifice, dû notamment à la faible hauteur (65 mètres tout de même !) de sa tour, imposante et massive qui ne surplombe que d’assez peu ses plus hautes toitures.

Cette impression est encore accentuée au chevet du monument où se déploie une véritable forêt d’arcs-boutants, l’entourant de toutes parts et, pourrait-on dire, en tous sens puisque, particularité rare, certains arcs se divisent en deux, prenant une forme d’Y renversé. Descendu du tramway à la station « Jacobins-Quinconces », donc sous le nouveau rempart, je me suis arrêté, interdit d’admiration, devant cette prouesse architecturale et esthétique qui fait jaillir de chacune des culées hérissées de pinacles, telles des sentinelles, ces arcs à triple volée convergeant tous vers la croix sommitale. Parfaite image d’une citadelle de la foi !

A l’invitation du porche monumental situé dans le prolongement de la Grande-Rue de la vieille ville dite Cité Plantagenêt, nous accédons à l’intérieur, admirant au passage son portail roman sculpté au tympan d’un Christ en gloire environné d’un Tétramorphe, ainsi que le décrit Jean dans sa vision de l’Apocalypse (Ap 4, 4-8), quoique les 24 vieillards, absents, soient remplacés, au linteau par les apôtres alignés sous des architectures symbolisant la Jérusalem céleste. L’Apocalypse ! Thème cher entre tous aux commanditaires romans…

Passé le portail, se révèle un édifice auquel le Moyen-Age et ses incessants travaux d’agrandissement, de reconstruction, de remaniement… ont conféré une complexité architecturale qui nous sera magistralement dévoilée par Alain, notre accompagnateur à la disponibilité inlassable et aux connaissances encyclopédiques n’excluant pas, à l’occasion, un propos « décoiffant » (ne nous a-t-il pas expliqué tout de go que c\’est la cathédrale de Sens qui constitue l’acte inaugural du gothique et non, comme on le martèle depuis des lustres, l’abbaye de Saint Denis ? )

Le résultat de ces chantiers incessants ?

C’est cette nef, romane à l’origine, remaniée et reprise au XIIe siècle dans ses parties hautes pour recevoir une voûte en croisée d’ogive très bombée et à nervures multiples : la fameuse voûte angevine définie parfois comme architecture de transition entre roman et gothique, parfois comme simple variation locale du gothique d’Ile de France.

C’est ce nouveau chœur, formidablement élancé et lumineux, à trois niveaux, reconstruit intégralement en gothique au XIIIe siècle, pourvu d’un double déambulatoire et de treize chapelles rayonnantes.

C’est ce transept, gothique lui aussi, élevé en deux étapes, bras sud au XIVe siècle, bras nord au XVe.

Mais, le plus étonnant n’est-il pas que toutes ces modifications et autres rajouts – sur fond de pénétration de l’influence culturelle du royaume de France dans un Ouest politiquement rétif – n’empêchent nullement une douce harmonie de régner dans l’édifice ? Tel est le miracle opéré par les multiples chefs-d’œuvre qu’il renferme…

Visiteur ! Comme nous, prends le temps de t’attarder dans la nef où coexistent ces formes architecturales différentes certes, mais qui ne s’opposent pas, cette nef où Julien nous conte sa légende dans le bleu profond de sa grande verrière, arrête-toi devant ces vitraux du chœur aux couleurs flamboyantes, rescapés pour beaucoup d’entre eux, de la dureté des temps passés, laisse-toi éblouir par cette rose du transept nord exposant dans sa lumière les thèmes de la foi et essaie d’entendre, si tu peux, la délicate et exquise musique du concert des anges musiciens dans la chapelle de la Vierge…

Il y aurait encore beaucoup à dire sur cette cathédrale surprenante à plus d’un titre et mon propos apparaîtra sans doute bien incomplet. Mais il n’a pas pour visée l’exhaustivité. Il a pour visée, plus modestement, d’éveiller l’intérêt, de donner l’envie de découvrir un monument qui, pour reprendre une expression fréquemment employée dans les guides touristiques, et ici, pleinement justifiée, « vaut le voyage ».

J.P.

Ill. : Roland Moegelin

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