Notre cathédrale, ce lieu de convergence des regards qui s’élèvent, est un concert donné vers le ciel dont les dentelles de grès rose imposent sa verticalité. Lors de la présentation du chantier, je vous avais invité à gravir les 332 marches pour aboutir à cette plate-forme dont nous avons le plaisir de visiter les travaux. Je vous invite aujourd’hui à poursuivre notre ascension et gravir quelques marches de plus pour escalader la tour, dont l’ascension débute ici.
Tout là-haut, là où la pierre et la lumière sont les seuls témoins du matin du monde, et où depuis toujours, grâce à elles, l\’éternel rencontre l\’infini. Tout là-haut, à 52 m du sommet de la flèche se trouve la galerie dite des « spectateurs ».
Ces spectateurs sont constitués de 8 sculptures. Elles prennent un relief particulier en raison du vide qui les entoure ! La sculpture, n\’est-elle-pas l\’art du vide, comme la musique est l\’art de sculpter les silences ? La sculpture consiste à établir avec des matériaux bruts des émotions.
Ces sculptures représentent des saints, des hommes, mais aussi des animaux. Plutôt que de me lancer dans l’hagiographie de tel ou tel saint, il m’est apparu plus saisissant de jeter mon dévolu sur un ours.
Que fait-il là-haut, cet ours ? Il observe la grandeur et les mystères de la voute céleste. Bref il scrute le ciel et porte son regard au loin. Il semble incapable d’y arriver car contraint par un énorme boulet auquel il est enchaîné.
En quoi cet ours enchaîné, de l’octogone, est-il signifiant pour nous ? Nous rêvons tous d’un monde meilleur. Mais des boulets viennent entraver notre bonne volonté. Il y a le boulet de l’indifférence. Le boulet des « y a qu’à ». Le boulet des lourdeurs administratives. Le boulet des contraintes financières (par exemple j’ai acheté une paire de ciseaux pour rien). Le boulet du travail fait à moitié ou mal fait.
Chacun d’entre nous, que nous soyons architecte, bureau d’études, sculpteurs, ouvriers, graphistes, autorité administrative ou mécène, nous avons tous contribué à briser les maillons de ces boulets. Nous avons grâce à une dynamique collective et un engagement de chacun réussi à porter le regard, plus haut, plus loin, pour nous déjà et c’est ce que nous fêtons aujourd’hui, mais aussi en faveur des visiteurs de la plate-forme.
Jamais la culture n’a été affirmée et affichée comme elle l’est aujourd’hui. Tous les acteurs publics et privés s’y réfèrent, la font vivre et la soutiennent pour en élargir l’accès au plus grand nombre.
Jamais le patrimoine n’a été respecté, mis en valeur et visité comme il l’est aujourd’hui et les attaques dont il fait l’objet nous confirment le bien-fondé de nos engagements déjà plus que centenaire de la SACS. Le patrimoine construit un espace commun à tous les individus. Il s’érige d’ailleurs comme vecteur d’intégration, mais il est aussi un élément de notre identité culturelle. Il a aussi, toujours été, un enjeu économique.
Les travaux initiés et portés par les uns font ainsi la découverte des autres. C’est dans cette complémentarité de nos sensibilités que réside justement notre puissance d’intervention au service d’un patrimoine, d’une communauté. Notre action commune a contribué à préserver et transmettre un patrimoine à nos visiteurs.
Le petit ours, tout là-haut, peut être heureux, de « spectateur » qu’il était, il a été le « moteur » de notre action. Nous l’avons tous aidé à porter son boulet, nous avons tous porté notre regard, notre action, plus haut ! Merci à vous, merci à l’ours.
A mes amis Walter et Julien Kiwior
Francis Limon
1er vice-président de la SACS
Cérémonie d\’inauguration, 12 juillet 2019
Ill. : http://vosges-du-nord.fr/site/visite-insolite-de-la-cathedrale-notre-dame-de-strasbourg/