Le lac souterrain de la cathédrale de Strasbourg est l’un de ces nombreux sujets où maints mythomanes, abonnés et adonnés aux mystères, au mysticisme et au spiritisme, s’en sont de tout temps donné à cœur joie. Le texte s’en fait d’ailleurs l’écho.
Parmi les gens du peuple, plus d’un (et on pourrait encore en trouver certains) croit que sous la cathédrale, il y aurait une voûte bien sonore sous laquelle on pourrait faire des allers et retours en bateau ; l\’entrée se trouverait dans une cave située juste en face de la cathédrale, dans un logement attenant à la pharmacie dite Au cerf. L’habitait jadis un barbier nommé Geßler, et de nos jours un autre barbier appelé Moïse (leur ancêtre commun figure sur la maison).
Un trou y aurait existé, fermé par une porte. Quand on ouvrit cette porte, un vent fort en sortit et éteignit les lanternes de tous ceux qui avaient tenté d’y pénétrer. A plus d’une reprise, on aurait essayé de sonder cette grotte à l’aide de perches pour savoir où elle pourrait bien mener, mais on découvrit moins que rien. De fait, une telle épouvante se serait emparée de ces mêmes personnes qu’elle les aurait contraintes à rebrousser chemin sans qu’elles aient pu en rapporter la moindre information. Il a également été dit que lorsque l’eau montait, serpents, orvets, crapauds et autres vermines similaires sortaient de ce trou. Pour se délivrer de cette calamité, on fit murer cette porte que l’on recouvrit de gravats. Mais pour en avoir le cœur net et faire toute la lumière sur ce cas, ou plutôt, pour mettre un terme à ces rumeurs infondées, l’honorable conseil municipal, ce dit-on, y envoya un maçon qui se mit aussitôt à l’ouvrage et entreprit des investigations ; il en conclut que tout cela n’était que pure imagination. Monsieur Wessner, apothicaire Au Cerf à cette époque et dont M. Spielmann est l’actuel propriétaire, ainsi que M. Roben, commerçant, étaient aussi de cet avis à propos de la cave près de la cathédrale : tout était pure invention et, touchant cette affaire, on ne pouvait avancer aucun fondement d’importance.
Cette légende vit toujours dans la mémoire des gens. Aujourd’hui encore, nombreux sont ceux qui y croient dur comme fer et prétendent que la cathédrale a été construite sur une énorme grille ou sur une voûte, sous laquelle se trouverait un lac, sur lequel des passages souterrains et des canaux permettraient d’aller et venir en barque, jusqu\’à l\’endroit où se trouvait, il y a quelques années encore, la fontaine aux poissons construite en 1576.
Dans le commentaire qui suit le récit de Schneegans, l’auteur ajoute que cette légende doit vraisemblablement son origine aux Collectanées (tome1) de Specklin, ce dernier s’étant lui-même appuyé sur des sources antérieures, reprises après lui par Osée Schad et d’autres continuateurs, dont Heckheler. Tout reposerait ainsi sur l’affirmation selon laquelle lorsqu’en 1015 l’évêque Werner fit reconstruire la cathédrale, les fondations « auraient été consolidées au moyen de pieux d’aulnes qu’on y aurait enfoncés. » La légende n’aurait pris vraiment corps et consistance qu’avec le récit de Heckheler, compilation de ses lectures personnelles.
Tant et si bien que de nos jours encore cette légende participe de l’aura mythique qui entoure la cathédrale d’un halo nimbé de nébuleuses affabulations. Pour s’en assurer il suffira d’une recherche sur internet où les sites ne manquent pas. Nous vous en proposons un seul, sur lequel il vous appartiendra d’exercer votre perspicacité. Ouvrez cette vidéo après avoir mis le son et regardez attentivement. Qu’en concluez-vous ? La conclusion s’impose : les mythes entrent en consonance non seulement avec mythification, mais aussi et surtout avec mystification.
Louis Schneegans, Légendes de la cathédrale de Strasbourg
Traduction : Francis Klakocer ; relecture : S. Wintzerith, W. Elbert
Commentaires : Francis Klakocer
Ill. : grottes de Bèze, Sébastien Maître