Frank Muller, Le thème de l’Église et de la Synagogue et ses transformations à l’époque de la Réforme

Pour la première conférence de leur nouveau cycle commun, les Amis de la cathédrale et la Fondation de l’Œuvre Notre-Dame ont attiré un public intéressé, malgré la situation sanitaire. Il faut dire que le conférencier et le sujet s’y prêtaient. Le professeur Frank Muller s’est attaché avec la compétence qu’on lui connaît, à développer le thème de la Synagogue et de l’Église au temps de la Réforme.

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L’Église et la Synagogue, Tobias Stimmer, 1572

Ces deux figures typologiques que le Moyen-Age a puisées dans la Bible ont été investies de nouvelles significations pendant toute cette période. La guerre des images, moyen idéal de propagande, avait commencé. Sous l’emprise du réformateur Zwingli et de prédicateurs bons hébraïstes, mais pas toujours très philo-judaïques, les artistes, Cranach, Holbein et tant d’autres ont été nombreux à enrichir ce thème. Dans une iconographie ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre, on retrouve ainsi d’une représentation à l’autre, et souvent séparées par un arbre, la Synagogue à gauche s’opposant à l’Église à droite, manichéisme facile à comprendre.

Dès lors, les ajouts non dénués d’intentions polémiques fleurissent rapidement. A Strasbourg en 1522, Hans Weiditz introduit l’image de la Vérité sortant du puits, signifiant par cette métaphore l’irruption de la Réforme dans le champ religieux. Et l’on passe alors tout naturellement de l’antijudaïsme à l’anticatholicisme. Un peu plus tard, Heinrich Vogtherr ne voit-il pas dans la Synagogue la figuration du catholicisme dépassé par la Réforme ?  Certains s’engagent encore plus fortement dans les luttes de leur temps. Ainsi de ce petit vitrail de Bâle qui exhibe la nouvelle Église écrasant l’ancienne, lutte fratricide qui oppose les deux confessions et qui est dotée d’images suggestives. Mais c’est surtout dans l’œuvre de Cranach à partir de 1529 que le thème se transforme en opposition entre la Loi et la Grâce : cercueil et mort pour l’Homme sous le règne de la Loi, salut par le sacrifice et la Résurrection du Christ à droite.

Il faut donc prendre parti et choisir sa voie, ce à quoi, en ces temps où l’Antiquité est en vogue, renvoie la figuration de l’hésitation, directement empruntée au mythème d’Hercule au carrefour du Vice et de la Vertu. A quoi renvoient aussi les nombreuses légendes des images, tirées de la Bible, tant allemandes que latines, fonds inépuisable pour les prédications des pasteurs. Le tout dans un manichéisme dévalorisant à chaque fois la Synagogue. C’est seulement à l’orée du XXe siècle et sous la plume du poète colmarien Ernst Stadler qu’on assistera à une revalorisation de la Synagogue par un retournement de la pensée traditionnelle.

Frank Muller a donc eu le mérite de montrer que le sens des images n’est jamais figé et qu’il appartient à chaque génération d’en proposer une interprétation qui lui convienne. Quitte à courir le risque d’une surinterprétation de mauvais aloi, surtout dans les médias modernes où le premier venu, sous le couvert de l’anonymat, nie toute expertise et cherche à imposer la sienne.

Francis Klakocer
Ill. : © Mathieu Bertola, Musées de la Ville de Strasbourg

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