La cour des corvées

L’an de grâce 1007, le jour où l’on fête saint Jean-Baptiste, survint à Strasbourg un temps effroyable et épouvantable. Les éclairs succédaient aux éclairs, le ciel à perte de vue semblait ne plus être qu’une mer de feu et les roulements de tonnerre étaient terribles.

Dans cette horrible tempête le feu tomba du ciel et s’abattit sur la cathédrale et sur l’église Saint-Thomas. Les deux lieux de culte prirent feu, tous deux furent réduits en cendres de fond en comble, ainsi que plus d’un tiers de la ville.

Cette catastrophe toucha lourdement le cœur de l’évêque Werner. Il instaura d’abord à travers tout le pays une taxe générale ainsi qu’une aumône. Il entendait, ce faisant, mettre d’abord les malheureux citoyens et habitants en état de reconstruire leurs maisons, eux que l’incendie avait réduits à néant, puis remplacer les églises qui n’étaient plus que cendres par de nouvelles.

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Le Fronhof sur le plan-relief de 1725-1728, Musée historique de Strasbourg.

Par la suite, l’évêque Werner émit une lettre d’indulgence plénière et remit les péchés à tous ceux qui, par de l’argent, des impôts modérés et d’autres aides, contribueraient à la reconstruction de la cathédrale complètement détruite.

Dans tout le pays et même en dehors du diocèse, on sollicita et quêta pour la construction de Notre-Dame. Partout, les fidèles donnèrent avec piété et largesse. Le clergé et les laïcs y contribuèrent si abondamment qu’une somme fut réunie, si considérable qu’on commença à se concerter en vue d’un grand et prestigieux édifice, et que l’on put faire venir de terres lointaines les maîtres-artisans les plus habiles et les plus célèbres.

On consacra huit années pleines et entières à la collecte des contributions et des matériaux nécessaires à la construction de cet édifice que l’on voulait magnifique.         

Ce n’est qu’en 1015 que l’on commença à dégager les anciennes fondations de l’église originelle de Clovis, puis à creuser de nouvelles fondations, profondes et de bonne qualité. A en croire une ancienne légende, ces mêmes fondations furent consolidées avec des pieux d’aulnes, que l’on enfonça dans l’eau avec un énorme marteau en bois qui aurait été gardé dans l’atelier municipal des charpentiers, et ce ne fut qu’ensuite, selon le compte rendu de Specklin, qu’on se mit à construire avec de belles pierres de taille.

On chercha d’énormes blocs de pierre de la carrière de Notre-Dame, située à Krontal près de Wasselonne, afin de poursuivre les travaux sans aucune interruption. Le pays tout entier participa aux corvées. De près ou de loin, de dix ou douze lieues, et même de plus loin encore, les charretiers vinrent apporter les pierres pour honorer Dieu et sa Mère bien-aimée. Tout le monde voulait avoir sa part de salut grâce à ce bâtiment et, avec l\’indulgence solennellement promise par l’évêque, gagner et s’assurer le salut de son âme.

A côté du chantier, sur la grande place, côté sud, on avait dressé de grandes huttes à l’intérieur desquelles recevaient à manger et à boire tous ceux qui participaient aux corvées. Et voilà pourquoi, selon la légende, la place s’appellerait la Cour des corvées (Fronhof), nom qu’elle porte encore aujourd’hui.

Louis Schneegans, Légendes de la cathédrale de Strasbourg
Traduction : Francis Klakocer ; relecture : Stéphanie Wintzerith
Ill. : Thierry Hatt, Canopé.

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