Mathieu Baud, La cathédrale de Strasbourg, un objet complexe. Quelle(s) méthodologie(s) pour sa préservation ?

Le mercredi 20 octobre 2021, Mathieu Baud, conservateur-restaurateur à la Fondation de l’Œuvre Notre-Dame, a ouvert le cycle de conférences 2021-2022, avec enfin le retour du public.

class=wp-image-1541

La cathédrale de Strasbourg est un édifice singulier, avec la présence depuis quelque 800 ans de la Fondation, cette dernière travaillant aujourd’hui à sa préservation aux côtés de l’État, de l’Évêché et de la Ville de Strasbourg. L’édifice est en perpétuelle évolution, physiquement bien sûr, avec ses réparations et rénovations successives, mais aussi idéologiquement : à compter du XVIIe siècle, la cathédrale devient, au-delà d’un objet cultuel et souvent politique, un objet artistique et culturel. Ainsi, le développement des principes théoriques de la restauration, qui apparaissent après la Révolution française puis au XIXe siècle, montre l’ambivalence des postures des acteurs de la préservation, entre la recherche d’un idéal architectural et interventions minimales. La première moitié du XXe siècle voit l’émergence d’une réflexion sur la méthodologie de restauration, de la consolidation à l’adjonction d’éléments en passant par l’analystose. Enfin, dans la seconde moitié du XXe siècle, l’apport des sciences sociales et de la nature permet l’émergence et la professionnalisation de la conservation-restauration. Elle constitue le trait d’union entre de multiples disciplines pour développer des techniques et une méthodologie de conservation, sans toutefois abolir la hiérarchisation des éléments constitutifs du monument.

Les fonctionnalités et les usages de la cathédrale oscillent selon les époques, entre la fonction cultuelle, judiciaire (pouvoirs religieux, judiciaires et temporels des évêques), politique, économique, de vigie (observatoire, maison des gardiens vers 1531, les cloches civiles pour rythmer les journées, le tocsin pour donner l’alerte), patrimoniale, communicative (télégraphe de Chappe en 1793, balise aérienne au sommet de la flèche, sirène d’alerte) ou encore laboratoire in situ et objet témoin (évolutions des matériaux, indicateurs environnementaux, etc.).

Les matériaux constitutifs de la cathédrale vont du grès aux métaux. Leurs relations sont interdépendantes : tous sont importants et leur hiérarchisation selon une échelle de valeurs contient le risque d’une fragmentation de l’objet. À l’instar des mortiers ou liants qui sont souvent délaissés alors que leurs interactions et leurs rôles sont centraux ou encore des polychromies qui ont, selon les époques et architectes, été effacées ou conservées avec soin. L’environnement naturel influe continument avec notamment les cycles météorologiques et la problématique des sels. Enfin, les influences anthropiques conditionnent l’altérabilité des matériaux. Les couvertures en plomb associées au plâtre en constituent un bon exemple : l’idée initiale de protéger de manière préventive a finalement créé de nombreux désordres et donc un paradoxe méthodologique.

Une vision globale associée à une méthodologie de conservation-restauration transdisciplinaire sont indispensables pour la préservation de la cathédrale, où la présence de la Fondation de l’Œuvre Notre-Dame est un atout indiscutable. Mais au-delà de l’histoire, un second patrimoine est à préserver avec l’édifice : la faune qu’elle héberge.

Sonia Zilli
Ill. : Fondation de l\’Œuvre Notre-Dame

Retour en haut