Une beauté énigmatique

Je suis belle, ô mortels, comme un rêve de pierre… aurait pu dire d’elle Baudelaire.

Vous reconnaissez cette femme ?

Non ?

Allez, vous avez droit à un premier joker. Sous le nazisme elle était considérée comme l’émanation et l’expression la plus pure de l’esprit allemand. Elle représentait alors la femme allemande dans son type le plus parfait. Regardez la finesse de son nez, son arête rectiligne qui se prolonge en deux arcs aux sourcils que l’on dirait épilés. Avez-vous vu son visage ovale, son regard fixe et presque méditatif, signe d’une vie intérieure riche et intense. Et ses yeux bleus, si bleus… Beauté dont on dit qu’elle fut même un temps la patronne de la Wehrmacht.

Vous n’êtes pas un fanatique de la beauté raciale ? Alors, un deuxième joker ? Dans une interview accordée à un journal allemand, Umberto Ecco déclarait sans ambages que si on lui demandait avec quelle femme de l’histoire de l’art il aimerait dîner et passer une soirée, ce serait elle. Prix Nobel en 1999, Gunther Grass a avoué que cette figure féminine dans son drapé incomparable l’a obsédé pendant plus de vingt ans.

Toujours aucune piste ? Toujours le vide en vous. Il est vrai que vous ne lisez pas l’allemand.

Tout compte fait, à bien la regarder, elle vous semble familière, vous êtes sûr de l’avoir déjà vue quelque part, mais vous n’arrivez pas à mettre un nom sur cette altière figure de femme. Vous dire qu’elle était l’épouse du margrave Ekkehard II de Meissen, princesse comme le prouve sa couronne à fleurs de lys ornée de perles et de pierres précieuses, vous aide-t-il ? Non ?

Alors, si on vous apprenait que son habillement passe pour avoir inspiré à Walt Disney le costume de la marâtre dans son film Blanche-Neige et les sept nains ?  Mais oui, vous dites-vous, c’est elle… C’est… Cette fois-ci vous brûlez. Vous vous frappez le front de la paume de la main : vous venez de reconnaître Uta de Ballenstedt, dont la statue orne le chœur de la cathédrale de Naumburg.

Eh bien, si vous aviez été des nôtres lors de notre voyage culturel de cinq jours en Allemagne, vous l’auriez reconnue tout de suite.

Francis Klakocer
Ill. : Linsengericht — Travail personnel, CC BY-SA 3.0

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