Vedi Giverny e poi muori…[1]
Lors de leur circuit de six jours en Normandie, les Amis de la cathédrale ont vu des merveilles. La tapisserie de Bayeux, le château Gaillard aux Andelys, l’abbaye Bénédictine à Fécamp les ont marqués autant que le patrimoine religieux. Mais le nec plus ultra aura été Giverny, avec les jardins de Claude Monet et le musée des Impressionnismes.
Juste en face de sa maison, Monet a acheté un terrain pour y établir un second jardin. Là, le long d’une rivière bordée de bambous et dont les berges s’agrémentent de massifs floraux aux couleurs riches et diverses, il a aménagé un étang avec des nymphéas qui en parsèment l’onde de leur taches blanches ou roses et où le soleil joue avec l’eau qui y reflète le prisme de ses rayons. Malgré la foule dense, vous admirez le pont japonais, motif tant aimé du Maître qu’il en a orné maintes toiles. Parfois, à l’ombre d’un détour et sous le couvert d’arbres, on pense à Corot et à son Souvenir de Mortefontaine, à l’atmosphère plus mélancolique. Il faut voir Giverny.
Après un petit passage souterrain s’offre à l’œil le paradis que dut être l’Éden. Des fleurs, des fleurs encore, des fleurs partout. Symphonie de couleurs où éclatent le rouge vif, le jaune d’or et le bleu tendre, disposées en plates-bandes et parterres qui se coupent en de longues allées rectilignes, dédale où se perdre sans plus vouloir en sortir. Couleurs et fragrances vous enivrent, sans un espace de libre, en toute saison, même l’hiver. Car telle est l’habileté des jardiniers que les fleurs y jaillissent et éclosent même pendant les frimas de la saison hiémale. A pareille vue, on songe à la Fontaine rêvant de goûter l’ombre et le frais loin du monde et du bruit. Il faut voir Giverny.
La maison elle-même, conservée en l’état, révèle le monde quotidien où évoluaient l’artiste, sa famille et leurs hôtes, dont Clémenceau. Rez-de-chaussée et étage : les pièces s’y succèdent dans une enfilade sans fin, les murs couverts de tableaux, dessins et esquisses. Parmi les siens, on y reconnaît plus d’un tableau de ses amis, Renoir entre autres. Il faut voir Giverny.
Enfin, on visite le musée des Impressionnismes. Pourquoi ce pluriel ? Non seulement l’impressionnisme s’est partagé en plusieurs tendances (Manet et Pissarro diffèrent fortement l’un de l’autre), mais ce mouvement impressionne toujours. Nous y avons contemplé, fascinés, les œuvres du peintre japonais Hiramatsu Reiji, grandement inspiré par les célèbres nymphéas du maître qu’il a déclinés en plusieurs versions, exposées sous formes de longs paravents, et influencées par les Nymphéas exposés au musée de l’Orangerie à Paris. Chatoiement des couleurs, vivacité des motifs, confusion du ciel et de la terre, de l’onde et des fleurs où volètent parfois papillons et oiseaux…Tout y est calme et beauté, luxe et volupté. Ravissement des yeux qui confine à l’extase. Il faut voir Giverny.
On comprendra qu’on ait du mal à quitter pareil enchantement pour retomber dans la vie courante avec ses platitudes quotidiennes. Le paradis perdu, dirait Milton.
Les Amis de la cathédrale ont eu ce bonheur. Ils ont vu Giverny.
Francis Klakocer
Photo. : Roland Moeglin / Francis Klakocer
[1] Allusion à l’adage Vedi Napoli et poi muori. Qui a vu Naples peut mourir, car il a vu ce qu’il y a de plus beau.