Günther Oestmann, L’horloge astronomique de la cathédrale de Strasbourg

Un modèle cosmologique du 16e siècle : c’est le titre qu’a choisi le professeur Günther Oestmann, maître horloger à Brême, depuis 2017 professeur associé d’histoire des sciences à la TH Berlin, pour sa conférence du 1er mars 2023. Depuis sa thèse de doctorat en 1992 sur ce sujet (voir Bulletin de la Cathédrale 20, 1992), Oestmann s’est intéressé aux horloges, à l’astronomie et à l’astrologie de cette époque. Il a été récompensé à plusieurs reprises pour ses travaux.

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L’horloge astronomique de la cathédrale au début du XVIIe siècle – Gravure d’Isaac Brunn.

Il a tout d’abord évoqué la première horloge astronomique de la cathédrale, l’horloge des Rois Mages de 1352-54, qui était installée sur le mur ouest du transept, en face de l’actuelle horloge astronomique – avec une structure similaire à trois étages avec calendrier, astrolabe et automates, qui était toutefois moins haute. Célèbre en son temps, elle ne fonctionnait plus depuis la fin du 15e ou le début du 16e siècle en raison de problèmes techniques.

Sous l’impulsion du magistrat, passé au protestantisme depuis 1524, une nouvelle horloge devait être construite à l’emplacement actuel (dans la niche d’un ancien autel). Les travaux commencèrent en 1531-32 et le boîtier de trois étages, haut de 18 mètres et doté d’un escalier en colimaçon, fut presque entièrement construit de 1543 à 1548 par l’architecte Nonnenmacher. Mais à cause de l’intérim d\’Augsbourg, décrété en 1548 par l’empereur Charles Quint avec le retour des services religieux catholiques dans la cathédrale, le chantier s’arrêta à partir de 1550.

Lors de la reprise des travaux en 1571, le mathématicien Conrad Dasypodius (né à Frauenfeld, en Suisse, mais établi à Strasbourg), les frères Isaak et Josias Habrecht, horlogers de Schaffhouse, ainsi que le peintre Tobias Stimmer, également suisse, furent appelés. Comme la précédente, cette horloge se compose d\’un calendrier en bas, d’un astrolabe aux multiples fonctions à l’étage intermédiaire, et d’un ensemble d’automates en haut. Dasypodius, qui avait pris la direction des travaux, a uniquement conservé le coq de l’ancienne horloge, automate que l’on peut aujourd’hui admirer au musée des Arts décoratifs. Il s’agit du plus ancien automate du Moyen-Âge, un objet exceptionnel par sa taille et son fonctionnement sophistiqué. En trois ans, les pièces fonctionnelles de l’horloge ont été fabriquées dans l’atelier des Habrecht à Schaffhouse, puis montées et mises en service dans le boîtier préexistant à Strasbourg. Il s’agit de pièces en fer forgé d’une grande qualité artisanale.

L’horloge a été livrée dans les délais, ce qui mérite d’être souligné en raison de sa taille et de sa complexité. Lors de son achèvement en 1574, elle était l’horloge la plus sophistiquée et la plus spectaculaire de son genre, mais aussi l’une des dernières horloges astronomiques. Les informations que l’on peut tirer de l’horloge sont extrêmement nombreuses : le « cours du temps » à tous les niveaux, les mouvements des planètes et du soleil, les éclipses de soleil et de lune, les signes du zodiaque, les fêtes religieuses, etc. Jusqu’à l’éternité, symbolisée selon Dasypodius par la figure d’un pélican. Il s’agissait d’un objet de prestige précieux, une vitrine pour la ville, et était considéré dans le Saint Empire romain germanique comme la huitième merveille du monde. De cette deuxième horloge, seul le boîtier a été conservé, avec des peintures et des sculptures.

Sa fabrication a été accompagnée de plusieurs écrits explicatifs que Dassypodius a publiés dans une démarche d’auto-promotion efficace. Les deux traités rédigés en allemand donnent une description purement factuelle du fonctionnement de l’horloge. Dans un texte plus caché de 1580, en latin avec des insertions grecques, contenu dans un ouvrage très volumineux de Dasypodius, celui-ci donne une interprétation de son horloge. Il y développe sa conception de lui-même en tant qu’architectus logicus, à l’exemple de Vitruve, dont il reprend le principe du module, unité de base de l’œuvre. Dans l’horloge astronomique, la minute, la plus petite unité mesurée, sert de référence pour toutes les autres unités plus grandes de la mesure du temps. Dans plusieurs représentations iconographiques, on trouve des indices étonnants de la prétention de Dasypodius. Ainsi, le prétendu autoportrait de Copernic, copié par Stimmer et placé en position proéminente en bas à gauche, ne serait pas une preuve des convictions coperniciennes de Dasypodius (dans le sens où il reconnaîtrait l’héliocentrisme comme un fait réel) mais, conformément à une convention de son époque, un témoignage de son admiration pour les conquêtes mathématiques de Copernic. Et en même temps – ce qui ne lui semble apparemment pas contradictoire – il explique dans son texte secret, que son horloge est une application particulièrement précise des anciens principes astrologiques.

Sabine Mohr
Ill. : Musées de Strasbourg, Cabinet des Estampes – Matthieu Bertola

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