Je te salue, Ô coq de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Je te salue, jeune coq aux ailes évoquant les flammes qui ont dévoré la charpente, fait tomber la flèche et ont provoqué la chute, dans le brasier, du coq qui la dominait.
Je te salue, jeune coq, moi, le vieux coq de Notre-Dame de Strasbourg, le premier coq de la première horloge astronomique de la cathédrale, âgé de plus d’un demi-millénaire, maintenant retiré au Musée des Arts décoratifs et offert, muet, au regard et aux questions des visiteurs.
Je te salue, jeune coq, né en 2023, de la volonté des hommes, toi qui conserves en ton ventre les trésors que les croyants avaient confiés, il y a deux siècles, à ton prédécesseur retrouvé dans les cendres après sa chute.
Je te salue, toi qui conserves un autre trésor : des noms !
Les noms des femmes et des hommes qui, en ce XXIe siècle, ont mis toute leur énergie et leur talent dans la restauration de la cathédrale : charpentiers, ferronniers d’art, sculpteurs, maîtres-verriers, architectes, carriers, cordistes, dinandiers, échafaudeurs, facteurs d’orgues, grutiers, maçons-tailleurs de pierre, patineurs, restaurateurs de sculptures, restaurateurs de peintures, archéologues…
Je te salue, Ô coq qui rends ainsi hommage à tous les compagnons du devoir gardiens des savoirs anciens et à ces métiers manuels si beaux et si dignes.
Mais je voudrais te confier, Ô jeune coq, mon regret de ne pouvoir être le porteur ou le chanteur d’un tel message.
Mon corps raidi par les siècles et la rouille ne dira jamais qui étaient les artisans de génie qui m’ont donné la vie, qui ont créé l’automate aujourd’hui « le plus ancien conservé en Occident ». Le Musée des Arts décoratifs dit aussi que je suis un chef d’œuvre de mécanique médiévale reproduit dans toute l’Europe… Qui était donc le génial inventeur qui a eu l’idée de me créer ? D’où venait-il ? D’Alsace, du Pays de Bade, de Suisse ou de plus loin ? Quels livres avait-t-il lus ? De qui avait-il appris sa science, des lointains Grecs dont les savoirs ont été transmis par les Byzantins et les Arabes ? Avec quels apprentis avait-il travaillé ? Avaient-ils acquis ses connaissances et qu’en ont-ils fait plus tard ?
On ne le saura jamais.
Et jamais je ne pourrai répondre aux visiteurs qui se poseront ces questions en venant me voir au Musée des Arts décoratifs.
Jamais je ne pourrai dire merci à mon créateur.
Je suis un vieux coq qui ne peut plus chanter.
Un vieux coq dont les plumes ne s’écarteront plus pour accompagner mon chant langue déployée.
Je suis un vieux coq muet.
Pourtant, j’ai tant de souvenirs depuis ma naissance en 1354 !
Je faisais partie de la première horloge astronomique, l’Horloge des Trois Rois. Je chantais, après le carillon, en battant des ailes, en levant la tête et en abaissant la queue.
Mais dans les années 1500, tout s’est arrêté et je me suis tu.
Et puis de grands scientifiques sont venus nous voir, des humanistes comme l’astronome Christian Herlin, les mathématiciens Michel Gherr et Nicolas Prugnier, l’architecte Bernard Nonnhacher…
Mais les temps étaient troublés en ces temps de Réforme, et la cathédrale, protestante, est devenue catholique, puis redevenue protestante.
Un disciple de Herlin, Conrad Dasypodius, originaire du canton de Thurgovie en Suisse, a alors repris le projet avec, pour le mécanisme, David Wolkenstein, les frères Isaac et Josias Habrecht, horlogers à Schaffhouse, et puis des peintres, les frères Tobias et Josias Stimmer, venus de Suisse, l’architecte Hans-Thoman Uhlberger, et sans doute des sculpteurs, mais dont les noms ont disparu.
Et la deuxième horloge astronomique est née ! J’y étais et je me suis remis à chanter !
Et puis, au bout de deux siècles, les rouages n’ont plus marché et l’horloge s’est arrêtée.
Les visiteurs venaient quand même nous voir.
Un jour, un jeune visiteur, Jean-Baptiste Schwilgué découvre avec émotion l’horloge muette et se fait la promesse qu’un jour il la réparera… Il lui consacrera sa vie. Autodidacte devenu ingénieur mécanicien, il a déjà 61 ans quand la rénovation de l’horloge lui est confiée.
Mais il a compris que je me faisais vieux, que la rouille s’était emparée de moi et en 1839, il a préféré me retirer, avec d’autres éléments très anciens comme moi et nous confier à la Fondation de l’Œuvre Notre-Dame.
Et le 2 octobre 1842, la troisième horloge astronomique est mise en marche ! Avec un nouveau coq…
Jean-Baptiste Schwilgué, qui n’était plus tout jeune, confie alors à deux de ses élèves, Albert et Théodore Ungerer, la direction des ateliers et c’est ainsi que cette famille Ungerer veillera pendant plusieurs générations sur l’horloge. Tomi, lui, n’est pas devenu horloger, mais il a créé des personnages, et il a raconté de belles histoires pour les enfants qui parlent parfois de guerre et de souffrances, comme l’autobiographie d’Otto, l’ours en peluche, ou le Nuage bleu.
Cher jeune coq de Paris, tous les noms que j’ai cités sont dans des livres, mais je suis triste qu’ils soient si peu connus aujourd’hui. Ils ne doivent pas être oubliés.
Je voudrais retrouver ma voix pour faire entendre les noms de tous ces savants, je voudrais aussi chanter les artisans anonymes, les oubliés de cette longue histoire, qui ont été si importants. Je voudrais être l’archiviste vocal de leur œuvre collective.
Longue vie à toi, jeune coq fièrement perché sur la nouvelle flèche de Notre-Dame de Paris !
Et j’ai une pensée émue pour ton prédécesseur auquel j’avais adressé un message après l’incendie de 2019 « par porteur spécial ». Les Dernières Nouvelles d’Alsace avaient bien voulu s’en charger le 20 avril 2019. Et je figurais sur le message !
Je lui souhaite d’avoir à son tour un repos bien mérité dans un musée de Paris !
Et quand je pense à tous ceux qui ont œuvré autour de l’horloge au fil des siècles, d’Alsace ou d’autres régions, ou de pays voisins, je dois dire aujourd’hui que je me sens européen.
Le vieux coq de la 1e horloge astronomique de la cathédrale de Strasbourg
avec l’aide de Monique Bauer